Après la BD « Le syndrome de Stendhal », les livres-catalogues des expositions consacrées à David Goldblatt, puis Dora Maar, « Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander » est la quatrième collaboration de la Fondation Almayuda avec le Centre Pompidou depuis 2017. Elle retrace une période cruciale de l’histoire allemande, entre première guerre mondiale et montée du nazisme. Son fil conducteur est un dialogue entre 900 œuvres pluridisciplinaires de la « Neue Sachlichkeit », « Nouvelle Objectivité » en français, et le travail du photographe August Sander : « Menschen des 20. Jahrhunderts ». L’exposition traduit le foisonnement culturel de la République de Weimar, qui trouva son apogée à Berlin, avant de s’éteindre, tué par la grande crise économique de 29 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir. 

La « Neue Sachlichkeit », ou « nouvelle objectivité » trouve son nom en 1925, lorsque l’historien de l’art Gustav Friedrich Hartlaub organise, sous ce titre, une exposition à la Kunsthalle de Mannheim, dans le Bade-Wurtemberg.

Cela fait alors plusieurs années que l’Allemagne est revenue à une figuration artistique beaucoup plus réaliste. En effet, la défaite de 1918, l’échec de la période révolutionnaire qui l’a suivie, puis l’avènement de la République de Weimar, ont eu raison de l’expressionisme et de l’idéalisme des artistes. Leur volonté de déformer la réalité objective, par le prisme des sentiments et des émotions, laisse place à une expression plus neutre, plus sobre, plus froide parfois comme avec le Bauhaus qui nait en 1919, justement à Weimar.

Le peintre Otto Dix est l’un des grands acteurs de cette période et de ce nouveau mouvement Son portrait de la danseuse Anita Berber illustre d’ailleurs la couverture du catalogue de l’exposition proposée par le Centre Pompidou (Paris), entre le 11 mai et le 05 septembre 2022, puis par le musée d’art moderne Louisiana (Danemark) jusqu’au 19 février 2023.

« Hommes du XXème siècle »

Autre grand protagoniste de l’époque et du mouvement, le photographe August Sander. Il a 42 ans à la fin de la guerre et devient le portraitiste social de la République de Weimar.

C’est vers le milieu des années vingt qu’il conçoit son ambitieux projet : « Menschen des 20. Jahrhunderts », « Hommes du XXème siècle » en français. Il le poursuivra jusqu’à sa mort, en 1964, produisant des centaines de clichés, classés en 7 catégories : « Le paysan », « L’ouvrier », « La femme », « Les États », « Les artistes », « La grande ville », « Les derniers des hommes ».

S’agissant des photographies réalisées pendant les années Weimar, c’est l’appartenance sociale, plutôt que les particularités physiques des modèles, qui intéresse Sander. Il adhère alors aux idées des « Progressistes de Cologne » (« Kölner Progressive »), qui incarnent les utopies socialistes.

Ces artistes, qui réalisent des compositions mettant en scène exploiteurs et exploités, incarnent les utopies socialistes. Ils traduisent ainsi le climat d’affrontement gauche – droite, marque d’une époque qui associe la fascination pour la rationalisation et l’efficacité productive à la critique sociale des conditions de vie asservies à l’économie.

Exposition dans l’exposition

« Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander », soutenu par Almayuda, propose un double parcours. La présentation des œuvres d’August Sander constitue une sorte de fer à cheval, disposé au beau milieu d’une exposition pluridisciplinaire, associant la peinture, la photographie, l’architecture, le design, le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique.

Au total, quelques 900 œuvres, emblématiques de la « Neue Sachlichkeit », sont réparties en 8 sections : « Standardisation », « Montages », « Les choses », « Persona froide », « Rationalité́ », « Utilité́ », « Transgressions », « Regard vers le bas ». À eux seuls, ces 8 mots-clefs nous disent beaucoup d’une époque marquée par des événements économiques et sociaux très prégnants.

Le phénomène dominant est la rationalisation de l’économie et la fascination pour les machines, sous l’influence du modèle (Taylorisme, Fordisme) et des capitaux américains. Cette modification des modes de production entraine la standardisation des modes de vie et de véritables révolutions sociologiques, comme le développement du travail des femmes, qui obtiennent le droit de vote en 1919, longtemps avant les Françaises.

Parallèlement, on assiste à une formidable libération des mœurs, désabusée et teintée de cynisme. Pour surmonter la honte de la guerre et d’une défaite incomprise, la société berlinoise et urbaine de l’époque se lance à corps perdu dans la fête et le plaisir. C’est le temps du cabaret, du jazz, de la démocratisation de certains arts « guindés » comme le théâtre et l’opéra (Brecht et son « Opéra de quat’sous »), de l’homosexualité affichée, du travestissement…

C’est tout cela la « nouvelle objectivité », que l’exposition s’attache à retracer. Elle le fait sous l’œil de Sander, dont les portraits sont un fil rouge, qui rappelle en permanence que l’époque fut dure pour le plus grand nombre et portait en elle tous les ingrédients du drame futur.

Résonnance

L’exposition rassemble donc 900 œuvres de 32 artistes, parmi lesquels Otto Dix, pionnier de la « nouvelle objectivité ». À son portrait de la danseuse Anita Berber déjà évoqué, il faut absolument ajouter celui de la journaliste Sylvia von Harden, tant l’une et l’autre illustrent ces « Persona froide », si représentative de la « Neue Sachlichkeit ». Autour d’Otto Dix, on peut encore citer George Grosz, Alexander Kanoldt, Georg Scholz, Georg Schrimpf, etc. Ou encore Gerd Arntz, inventeur de l’isotype et précurseur du pictogramme, Paul Renner créateur de la typographie Futura…

Leurs œuvres, contextualisées par le regard d’August Sander, invitent à des rapprochements politiques et des analogies médiatiques entre hier et aujourd’hui. Ce qu’Angela Lampe, co-commissaire de l’exposition et conservatrice des collections historiques au Musée national d’art moderne du Centre Pompidou, exprimait ainsi sur France Culture (Grande Table des Idées (31 mai 2022).

« Nous sommes très heureux que plusieurs visiteurs et commentateurs aient dit qu’il y avait une vraie résonnance avec aujourd’hui. Je pense à la montée du populisme, voire du fascisme, qui est latent durant ces années. Il y a aussi une angoisse qui est très perceptible, une même fascination pour la machine, pour la technique. Aujourd’hui, on vit dans une ère digitale, numérique. À l’époque, c’est la radio le médium de masse. Il y a aussi la transgression, les sous-cultures, le déclassement des gens… ces thèmes là résonnent encore beaucoup aujourd’hui. »

Prenons garde aux années 20, elles peuvent se ressembler !


Photos : DR

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